Effet Streisand et Kamoulox juridique. L’histoire de Valérie, une femme de 56 ans habitant dans le Pas-de-Calais, interpellée, placée en garde à vue et poursuivie pour une publication Facebook qualifiant Emmanuel Macron «d’ordure», a surpris et indigné, déclenchant une multitude de réactions dénonçant la disproportion de cette procédure. Mais au-delà , comme l’a remarqué la juriste derrière le compte Twitter @jjalmad en réaction à notre premier article, cette procédure soulève diverses questions juridiques. Et de fait, selon différents juristes interrogés par CheckNews, la garde à vue est vraisemblablement illégale… et les poursuites ne respectent pas la loi en se fondant sur une plainte qui n’est pas recevable. Vendredi 24 mai à 10 heures, trois policiers se rendent au domicile de Valérie pour l’interpeller. Elle est placée en garde à vue. Elle se souvient : «Ils me notifient tout de suite que c’est pour injure ou insultes au président. L’OPJ au commissariat aussi.» Des faits pour lesquelles elle est finalement déférée, sur la base d’une publication Facebook, après 9 heures de garde à vue. Elle sera jugée en juin prochain pour «injure publique envers le Président de la République par parole, écrit image ou moyen de communication par voix électroniques», confirme le parquet de Saint-Omer à CheckNews, ajoutant que ce délit est passible de 12 000 euros d’amende. Premier problème : il est légalement possible de placer quelqu’un en garde à vue uniquement pour des faits passibles d’une peine de prison. Ce qui n’est pas le cas ici. Philippe Conte, professeur de droit pénal à Assas est catégorique : «A mes yeux c’est une garde à vue parfaitement abusive. Les textes sont très clairs, pour placer quelqu’un en garde à vue, il faut des raisons plausibles de soupçonner qu’elle ait commis un crime ou un délit passible d’emprisonnement. L’injure n’est punissable que d’une peine d’amende. Ou alors, car je ne connais pas les éléments du dossier, ils ont utilisé un autre délit passible d’emprisonnement pour la placer en garde à vue, sachant que ce n’est pas possible pour injure, mais ça ressemble à un détournement de procédure.» Ce que d’autres juristes interrogés par CheckNews confirment. Les neuf heures passées par Valérie en garde à vue sont donc illégales et arbitraires, et tombent même sous le coup de la loi pour privation de liberté par personne dépositaire de l’autorité publique. A-t-elle été placée en garde à vue pour un autre délit, punit d’emprisonnement (qui permettrait donc un placement en garde à vue) qu’injure ? Peut-être, mais le procureur, qui a forcément été notifié de la garde à vue par les policiers, aurait dû faire cesser cette privation de liberté dès la requalification des faits en injure. Ce qui n’a pas été le cas, Valérie ayant été déférée à la fin de garde à vue. L’imbroglio ne s’arrête pas là . Comme le relève le compte Twitter @jjalmad, une des particularités du délit d’injure au président de la République, comme d’autres délits de presse, est qu’il nécessite que ce soit la victime qui porte plainte (contrairement à la plupart des délits et des crimes où le parquet peut choisir de lui-même d’engager des poursuites). Une plainte pour X, comme l’a fait le sous-préfet de Saint-Omer Guillaume Thirard, ne suffit pas. Comme l’explique l’article 48 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, «dans le cas d’injure ou de diffamation envers le président de la République, un membre du gouvernement ou un membre du Parlement, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne ou des personnes intéressées». Il faudrait donc une plainte d’Emmanuel Macron pour pouvoir poursuivre Valérie. Plainte qui n’existe pas, comme l’explique l’Elysée à CheckNews : «Je vous confirme que le Président n’a pas déposé la plainte à l’origine de la procédure.» Le délit d’offense au chef de l’Etat, qui ne nécessitait pas de plainte du président pour engager des poursuites, a longtemps existé en France, mais il a été supprimé le 5 août 2013. Pour résumer, la procédure est initiée par une plainte contre X du sous-préfet pour injure, irrecevable, à la place d’une plainte que seul Emmanuel Macron peut faire, et qui n’existe pas. A quoi il faut donc ajouter une garde à vue illégale. Malgré tout, Valérie comparaîtra selon toutes vraisemblances au tribunal. A partir du moment où la quinquagénaire a été convoquée, le tribunal est saisi. Le procureur n’a plus la disposition de l’action publique, et ne peut donc pas annuler les poursuites. L’audience doit avoir lieu, et ce n’est qu’à ce moment-là que le parquet pourrait éventuellement indiquer qu’il ne soutient plus les poursuites. Rendez-vous donc le 24 juin prochain.